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Feedback anxiogène et sourire forcé

Des chercheurs ont enregistré les battements du coeur d’une vingtaine de volontaires au moment où ils apprennent qu'ils vont recevoir du feedback ou qu'ils vont devoir en donner. A cette perspective angoissante, leur rythme cardiaque s’accélère de 50% ! Cette intensité émotionnelle est révélatrice du danger ressenti, le feedback est perçu comme une menace. Autrefois la survie dépendait de l’appartenance à un clan protecteur. Etre exclu du groupe renvoyait l’individu à une existence isolée et une mort certaine. Les humains modernes fondent leurs décisions sur le même type d’impulsions sociales consensuelles. Nous papotons poliment au travail, même dans nos périodes les plus anti-sociales, pour être perçus comme sympathiques et ne pas nous faire d’ennemis.

De nombreux managers appréhendent de donner du feddback car ils ne savent pas toujours clairement comment le dire, ni de quel type de feedback leurs collaborateurs ont besoin. Ces derniers le craignent aussi car la plus légère critique peut les renvoyer à des blessures personnelles ou porter atteinte à leur légitimité. Du coup . Ces craintes partagées et les émotions fortes qu’elles génèrent expliquent pourquoi la pratique du feedback se résume souvent à des remarques complaisantes prononcées par le manager avec un sourire forcé, particulièrement observable chez les personnes qui se réclament d’une culture de bienveillance : elles ont tendance à surcompenser en souriant trop et leurs paroles sont excessivement positives. Résultat: les signaux non-verbaux sont décalés par rapport au contenu du message verbal. Le récepteur se méfie, souvent se ferme et n’écoute plus.

D’après cette étude, aucune des 35 entreprises américaines interrogées n’est vraiment confiante dans la capacité de son modèle de feedback à créer un changement sur le long terme. Certaines forment leur managers à donner du feedback, mais aucune n’apprend aux collaborateurs à recevoir du feedback.

Recevoir du feedback, de l'information venant aussi bien de l'extérieur que de l'intérieur, est une nécessité vitale pour le système vivant qu’est une organisation. Sa capacité de survie et d'évolution dépend de sa compétence à capter ces informations.
Apprendre à demander du feedback et surtout à l’écouter en identifiant les ressentis physiques, les émotions et les besoins qu’elles révèlent est fondamental pour instaurer une culture d’apprenance dans l’organisation. En demandant un feedback, vous accordez votre confiance à l’autre et vous lui donnez la permission de vous faire progresser. Cela instaure une forme de parité et de co-responsabilité dans la relation. Recevoir un feedback régulier et nourrissant satisfait notre besoin fondamental de confiance, de stabilité et de sécurité, cela donne la possibilité d’anticiper les comportements de l’autre.

C’est vraiment une des grandes différences que l’on peut observer avec le style de management chinois. Tout ce que je viens de dire est vrai en Occident… mais ça ne marche pas vous êtes managé par un patron soucieux de maintenir une distance importante entre lui et ses n-1. Maintenir un flou, une incertitude permanente renforce cette distance et donc son pouvoir. Votre demande bien légitime de feedback va le mettre dans une posture très inconfortable. En lui demandant d’être plus explicite et de partager ce qu’il pense de vous, vous faites fi de son statut particulier, vous le disqualifiez en tant que patron !
C'est la frustration que le management chinois provoque immanquablement chez les Occidentaux élevés dans le culte de la transparence.

En l’absence de feedback, le n-1 d’un Chinois vit généralement dans l’insécurité. Il ne sait pas quels sont les indicateurs de son patron, comment il l’évalue de façon subjective, ce qui est important pour lui, au-delà des KPI officiels (quand ils existent!). Il passe donc son temps à essayer de capter de minuscules signaux d’approbation, dans le non-verbal de son hiérarchique, dans les moments informels comme dans les réunions, à décortiquer le sens caché d’un message Wechat envoyé un dimanche. Il développe en fait une compétence bien chinoise appelée 悟性 wuxing : la capacité à décoder les intentions du chef.

Pour un Occidental dans une entreprise à capitaux chinois, il y a un travail d’apprentissage de nouvelles règles du jeu, notamment l’acceptation d’une grande dose d’opacité et d’implicite. Mais le plaisir à jouer n’est durable que s’il coexiste avec une forme d’authenticité et préserve les valeurs fondatrices de la personne. Trouver cet équilibre, c’est l’objectif des personnes que j’accompagne dans l’aventure.

Chloé Ascencio