Agir et non-agir selon les Chinois
La Chine développe dans l'Antiquité une philosophie du changement, de la mutation permanente du monde qui laisse l’avenir imprévisible et le temps incontrôlable. La seule capacité humaine importante est de savoir observer le contexte et s’y adapter de manière rapide et souple. Pour le daoïsme (école qui étudie le 道 dao: le chemin, la voie), l’homme n’a d’ailleurs pas à transformer le monde, il doit surtout l’observer et analyser la « situation-potentiel » xingshi 形势 pour être capable d’intervenir au bon moment en profitant de la configuration favorable des forces en présence.
D’influence animiste et daoïste, les croyances chinoises se fondent sur les cycles naturels, sans idée d’une Création par un Dieu : la vie des hommes obéit aux lois de la nature. Il n’y a donc pas de Transcendance, de Vérité ou d’Idéal au-dessus des hommes. La conséquence fondamentale est qu’il n’y a pas de vérité unique pour les Chinois, mais un relativisme absolu. Et pas de sentiment d’appartenance à une chapelle plus qu’à une autre ce qui va de pair avec un grand pragmatisme.
Cette influence daoïste sur les mentalités chinoises se traduit donc dans la stratégie et la conception de l’action : il s’agit du wu er wei 无而为 : le « non agir », qui ne signifie pas non-action mais plutôt non-activisme, l’idée qu’il est contre-productif de forcer les choses. En cela il s’oppose radicalement au volontarisme occidental. Ainsi une fable bien connue de Mencius conclut qu’on ne fait pas pousser les radis en tirant dessus.
Il y a bien deux conceptions radicalement opposées de l’Efficacité qui s’affrontent – et les entreprises en sont naturellement un théâtre privilégié.En revanche, la mobilisation autour de certains idéaux, qui rassemble et motive assez bien des salariés occidentaux, ne fait pas forcément sens en Chine, et a longtemps rencontré l’incompréhension : la Qualité, la Sécurité, l’intérêt du Consommateur, autant de notions qui ne conduisent pas à un changement des comportements tant qu’ils ne représentent qu’un concept abstrait. Ainsi, quand le client final n’est pas quelqu’un que l’on connait, il est difficile pour les acheteurs chinois de prendre ses attentes de qualité ou de sécurité en considération.
Deux conceptions de l’efficacité : le comment et le pourquoi
Enfants de Descartes, les Français ont tendance à théoriser l’action avant de la mettre en œuvre. Inconsciemment le plus souvent, ils pratiquent le « doute méthodique » et la célèbre Méthode qui consiste, face à un problème, à d’abord en analyser les causes, à modéliser en généralisant le lien de cause à effet, puis à valider en confrontant la théorie à la réalité. Cette forme de raisonnement est souvent perçue comme inefficace par les Chinois car elle prend du temps :
« Les Français manquent de sens pratique, ils perdent trop de temps à chercher la cause des problèmes au lieu de les résoudre. »
« Pour les Français, les process sont plus importants que les résultats. »
L’efficacité chinoise se fonde en contraste sur la logique empirique et pragmatique du Comment ça marche? et du Comment faire?, c'est-à-dire un mode de raisonnement inductif. Après une phase préliminaire d’observation/test/essais on formalise une stratégie, sans ressentir le besoin de modélisation. C'est un agir expérimental, source d'apprentissage, qui nécessitera des réajustements.