« Moi » occidental et « face » chinoise : deux conceptions de l’identité
Si l’on demande à un Occidental où se trouve dans son corps le siège de son Moi, il montrera en général sa poitrine, parfois sa tête. Dans les deux cas, il s’agit d’un Moi à la fois intérieur, intime et caché au regard des Autres. Ce qui a deux implications essentielles : j’existe par le simple fait d’être (c’est le « je pense donc je suis » de Descartes), et je suis le seul à pouvoir découvrir ce Moi, à travers une quête intérieure personnelle. Car je n’ai pas besoin des autres pour savoir qui je suis. De cette définition du Moi découle une société fondée sur l’individualisme et sur les conditions favorables à son expression et son développement : la liberté, le droit, et un style de communication direct et explicite, entres autres caractéristiques. Où se trouve le Moi chinois ?
Sur le visage, au beau milieu de la « face ». Cette différence avec la conscience de soi occidentale, qui peut paraitre anecdotique, traduit pourtant un trait central de la perception des Chinois. Elle a deux implications essentielles : non seulement je suis extrêmement sensible au regard des Autres, mais plus encore je n’existe que dans ce regard. - Chloé Ascencio
"Le Moi se construisait et se nourrissait de l’accumulation des bons regards portés sur soi. D’où l’expression « donner de la face » à quelqu’un, qui signifie lui faire don d’un bon regard, positif, qui va le gratifier et au moins le reconnaître. Donner de la face, c’est signifier qu’on a confiance en l’autre et accepter la dépendance mutuelle qui permet un échange de services équitable, donnant-donnant. C’est pourquoi « L’homme a besoin de face pour vivre comme l’arbre a besoin d’une écorce[1] », dit un proverbe chinois.
[1] ren huo lian, shu huo pi人活脸树活皮