Coaching & Facilitation interculturelle
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Coacher des Chinois


Un DRH m'appelle pour me demander de coacher un chef de projet chinois qui "ne s'intègre pas dans son équipe au siège France alors qu'il est arrivé il y a un an. Il n'habite pas sa posture, et il ne délivre pas. Quand je lui dis que cela ne va pas, il acquiesce et ne laisse rien paraître."
Encore un coaching qui arrive trop tard.... Pas certain que ce monsieur chinois accepte d'être coaché maintenant que son image est si dégradée: il a déjà perdu la face dans cette organisation.

Lors d'une conférence sur le coaching en Chine*, nous discutions des différences culturelles dans la pratique de notre métier en contexte chinois.

La face du coaching - La première différence c'est l'absence de droit à l'erreur : en Chine, le coaching est encore souvent perçu comme le remède à une déficience, une punition plutôt que comme le signe positif que l'entreprise souhaite investir dans un potentiel, un cadeau. Reconnaître qu'on l'on a besoin d'être "accompagné" est une honte grave qui conduit à la mort sociale. C'est pourquoi le coaching est plus souvent "prescrit" par le manager et le DRH que demandé par le client lui-même. Au coach et aux prescripteurs du coaching de transformer cette "perte" de face en "gain" de face: en quoi ce coaching est-il une démarche valorisante  pour le coaché et une étape dans son parcours de réussite professionnelle? Quand les difficultés du client chinois relèvent plutôt de la thérapie que du coaching, il refuse généralement de consulter un psychologue. Les problèmes relationnels, pourtant très fréquents en Chine comme en Occidents, sont perçus là-bas comme une maladie mentale, une faiblesse, un manque de discipline personnelle. 

Le temps long de la confiance - La deuxième différence culturelle tient à la faiblesse du contrat en Chine, et à l'absence de confidentialité dans les organisations en Chine. Un cadre juridique structurant, protecteur et une éthique forte suffisent, en Occident, à instaurer la confiance.  Le coaching est une relation contractuelle, cela n'existe pas en Chine. Les Chinois sont dépourvus de droits individuels et n'accordent aucune confiance ni aux institutions ni aux contrats. La seule confiance qui vaille est interpersonnelle et se construit dans l'échange réciproque, au long terme. Le coach consacrera beaucoup plus de temps (environ 3 séances soit 3 mois) qu'avec un Occidental à bâtir la confiance et à l'incarner, ce qui allonge d'autant la durée d'un coaching.

L'amitié pour construire la relation de coaching - La seule relation égalitaire dans le cadre de référence chinois, c'est l'amitié au sens confucéen: elle n'implique pas forcément d'affection sincère, mais exige d'être familier (parler de sa vie privée, passer du temps informel ensemble), de donner et recevoir de façon réciproque. L'amitié est en fait le seul espace de la confiance en Chine. A l'instar de la relation de coaching, elle suppose bienveillance et intimité. Cette amitié peut symboliquement s'incarner quand le coach va déjeuner avec le client, alors que le mélange privé-professionnel est proscrit en coaching "à l'occidentale".

La parité est un challenge - En chinois coach se dit jiaolian (instructeur) et les clients nous appellent souvent laoshi (professeur): gloups! Le paternalisme confucéen qui imprègne l'éducation et le management chinois n'envisage pas la parité, cette égalité indispensable à une véritable relation de coaching. Les clients chinois attendent souvent des conseils et du homework... Une étude** sur le coaching en Chine révèle que les coachs chinois se positionnent d'ailleurs souvent en mentors plutôt qu'en coachs. En posture "haute" d'experts, ils savent (à la place de leur client) ce qui est bon pour lui et de quelles solutions il a besoin. Ce faisant, ils  s'éloignent de la posture dite "basse" du coach qui vise au contraire à développer l'autonomie du coaché. Cette tendance est renforcée par le manque de supervision qui a été pointé par la même étude. Les séances de supervision permettent au coach de prendre du recul sur sa pratique, de rester vigilant sur son éthique et d'ajuster sa posture.

Un don pour l'observation en "meta" - En coaching d'équipe, les Chinois sont  "culturellement" plus observateurs que les Occidentaux. J'ai remarqué qu'ils adoptent instantanément la posture d'observateur (meta signifie "au-dessus" ou "à côté") et font des observations très pertinentes alors que cela demande souvent beaucoup d'entraînement aux Occidentaux. En contexte chinois, savoir observer est une question de survie: pour se conformer au groupe, aux attentes du supérieur et s'en protéger, mieux vaut regarder que parler. Ce qui n'empêche cependant pas les Chinois d’être "dans le jugement" : comme nous, ils ont besoin d’apprendre à faire des feedbacks "nourrissants".

Sauver la face - En jeux d'équipes, le coach devrait éviter les scénarios qui peuvent mettre en échec les équipes chinoises, même si c'est "pour de faux" ou "pour rire". Délicatesse et attention sont de rigueur. Pour sauver la face des collaborateurs et managers chinois, il est important d'accepter une part de non-dits en coaching d'équipe : la confrontation (en cas de non respect des règles de fonctionnement) se fera plutôt en aparté qu'en collectif, et on évitera que soient sollicités des mea culpa en direct. Ce n'est pas parce qu'une prise de conscience n'est pas verbalisée devant tout le monde qu'elle n'a pas lieu. La transformation en contexte chinois opère souterrainement et souvent j'ai observé un changement rapide des comportements alors que les personnes n'en avaient rien laissé paraître le jour du séminaire!

*animée par Edith Coron pour International Coach Federation

**Frank Gallo, "The enlighted leader, lessons from China on the art of executive coaching", 2015, Emerald

Chloé Ascencio